Les Israéliens sont absolument partout en Inde – honnêtement, un voyageur sur deux doit être Israélien. Et même si on les voyait partout depuis notre arrivée, on n’en avait jamais rencontré personnellement, jusqu’à ce qu’on sympathise avec Daniel et Omer à Varanasi – deux vrais bons gars : relax, accueillants, pas compliqués. On les a recroisé à Pushkar, où on a passé beaucoup de temps ensemble, ce qui nous a carrément ouvert sur leur culture dont on ne connaissait, avouons-le, rien d’autre qu’une poignée de préjugés. Je dirais qu’avant, notre impression des Israéliens était qu’ils étaient envahissants et se croyaient tout-permis ; mais après avoir été plus proches d’eux et avoir passé du temps parmi leur groupe d’amis, on a vu l’autre côté de la médaille et on en a appris beaucoup sur leur univers.
Une tout autre réalité
Comme vous le savez sûrement, les Israéliens font un service militaire obligatoire de 3 ans après l’école secondaire, environ de l’âge de 19 à 22 ans. C’est pour cette raison qu’on les voit beaucoup voyager, notamment en Europe, au Moyen-Orient et en Asie : après leur service militaire, ils prennent généralement un an de voyage pour souffler avant de commencer l’université. Et ça, ce sont des choses qu’on savait déjà, mais jamais on ne s’était senties assez à l’aise avec des Israéliens pour leur poser plus de questions par rapport leur service militaire, car c’est tout de même un sujet délicat. Mais en regardant Daniel et Omer et en devenant plus familières avec eux, on ne pouvait s’empêcher de constater à quel point nos réalités étaient différentes et de vouloir en savoir plus : ces gars-là, qui ont le même âge que nous et qui ont comme nous l’âme bohème de backpacker, venaient tout de même de passer les 3 dernières années de leur vie à faire la guerre.
Et c’est facile d’en oublier les implications réelles, mais en leur posant plus de questions, on réalise vite à quel point ils viennent de vivre les années les plus difficiles et marquantes de leur vie. Pour vous donner une idée, Daniel était commandant durant sa troisième année, quand il avait 21 ans. Commandant!! C’était donc lui qui donnait les ordres aux 30 soldats au-dessous de lui, qui soit dit en passant étaient de tous les âges. C’est durant la 3e année qu’ils font des missions réelles, donc on ne parle plus juste d’entraînement – ils étaient réellement sur le terrain. Imaginez la responsabilité. Omer, lui, était sniper. (C’est pas quelque chose qu’on voit juste dans les films, ça??)
Les deux racontent le commencement de leur service : moment déchirant où ils quittent famille, copine et vie d’adolescent (et, dit Daniel qui avaient de longs dreadlocks, « où on se fait raser les cheveux! »). Ils affirment que dès le jour 1, le décompte des jours restants était commencé : dès le tout début, la seule chose à laquelle ils pensent est le moment où, dans 3 ans, ils seront libres à nouveau. Ils racontent les longues heures passées à la maison de garde, où ils devaient passer jusqu’à 8 heures de suite à faire le guet, debout dehors, complètement seul au milieu de nulle part, avec tout leur équipement et leurs armes, à la pluie battante parfois – et racontent comme ils craquaient des fois et commençaient à pleurer à gros sanglots, tellement ils étaient à bout.
Ils nous parlent très ouvertement de tout ce qu’ils ont vécu, car ça fait tout simplement partie de la vie pour eux. Reste que c’est une dure étape qu’ils ne sont pas près d’oublier. Daniel, après une grave blessure en 3e année, a dû se faire opérer à la hanche et a passé plusieurs mois à l’hôpital. Pire, durant son service, trois de ses amis ou connaissances ont perdu la vie. Trois…
Le plus incroyable dans tout ça, c’est que malgré le fait qu’ils viennent de vivre une période des plus obscures, ils abordent le sujet avec une attitude vraiment positive. Ils nous parlent des moments où ils fondaient en larmes en riant de bon cœur, et ne prennent jamais un ton trop lourd car ils ne veulent pas dramatiser. D’ailleurs, lorsque le ton de nos conversations devient trop sérieux, Omer, qui est comme un grand nounours qui veut juste que tout le monde soit heureux, nous rappelle toujours avec son grand sourire que « Hey, but look around, we’re in India! And it’s so beautiful! ».
Analyse psychologique non-exhaustive…
C’est sûr que de passer à travers une étape comme celle-là, ça influence la mentalité des gens. Et mon interprétation est qu’après 3 ans de service militaire, à vivre et à voir des choses inconcevables, les Israéliens sont conscientisés sur les priorités de leur vie. Ils viennent carrément de faire face à la mort, et sont donc ramenés à la base de leur système de valeurs : aimer leurs proches et profiter de la vie comme s’il n’y avait pas de lendemain. Tous ceux qu’on a rencontrés étaient tellement relax et ne faisaient jamais de grosses histoires pour un rien : il n’y a jamais vraiment de problème avec eux, parce qu’ayant vu bien pire, ils savent que ça ne vaut pas la peine de s’en faire pour rien. Ils savent apprécier les bonnes choses de la vie, et surtout vivre le moment présent, sans trop se préoccuper de ce qu’ils feront la semaine prochaine. Aussi, tous ceux que j’ai rencontrés avaient un excellent contact humain. À être avec Daniel et Omer quelques jours, on a rencontré de leurs amis, qu’on pensait être de leurs compagnons de longue date à voir l’accueil chaleureux qu’ils se faisaient – mais non, c’étaient des gens qu’ils avaient rencontrés quelques jours auparavant seulement. C’est possible que tout ça soit déjà ancré dans leur culture, mais je suis sûre que le fait d’avoir vécu trois ans de service militaire influence beaucoup leur personnalité.
Les Israéliens en voyage
Et on ne doit pas s’étonner du fait que les Israéliens soient d’excellents voyageurs. Daniel et Omer sont toujours ultra informés, ils connaissent toute l’histoire des endroits qu’ils visitent et les coins dont on ne parle même pas dans les guides. Super équipés en plus, ils transportent un brûleur pour se faire leur thé, un couteau, des plats, une pipe, des speakers, des instruments de musique achetés ici… Et leur sac est bien sûr tout petit. Comme Daniel nous raconte, c’est que pendant les 3 ans de leur service militaire, la SEULE chose qu’ils ont en tête est ce qu’ils vont faire comme voyage lorsqu’ils auront terminé. Pendant tout ce temps, pendant toutes ces longues heures à faire le guet seul sous la pluie, la seule chose qui les rattache à la réalité est de penser à exactement où ils iront, avec qui, comment, ce qu’ils vont apporter, une fois qu’ils seront enfin libres. En plus, c’est qu’ils se passent le mot entre eux d’année en année : ils bénéficient des conseils de ceux une année au-dessus d’eux. Apparemment, après le service militaire, ils reçoivent tous une campervan et vont camper pendant quelques semaines, durant lesquelles ils ne parlent QUE de leur futur voyage. C’est ainsi que certaines petites villes en Inde, où il y avait sûrement très peu de touristes il y a de ça 5 ou 10 ans, deviennent bondées d’Israéliens mais que peu de touristes d’autre part y vont : tout simplement à cause du bouche à oreille entre eux. Dans une certaine ville, ils connaissent tous le meilleur endroit pour acheter des bijoux en argent ; dans l’autre, ils savent exactement où il faut aller pour le cuir ; dans chaque ville, ils connaissent les deux meilleurs hôtels où tous les Israéliens vont ; c’est à croire qu’ils se passent tous une bible secrète du backpacker israélien en Inde!
C’est aussi intéressant de comparer leur attitude par rapport au voyage. Ils sont à un stade de leur vie où ça fait trois ans qu’ils n’ont pas eu un seul moment pour eux-mêmes, et là, d’un coup, ils se retrouvent avec 6 mois à un an devant eux pour voyager. Ils sont donc en mode relax, apprécier la vie, et restent dans chaque endroit jusqu’à ce qu’ils aient envie de changer. C’est drôle, parce que Lê-Anh et moi aussi avions un an au total pour voyager, mais ayant plus de choses au menu, nous avons quand même la pression de bouger. Les Israéliens restent généralement plus d’une semaine dans chaque ville, et visitent chaque état en profondeur, tandis que Lê-Anh et moi restons de 3 à 5 jours dans chaque ville, et auront parcouru une grande superficie de l’Inde en deux mois et demi seulement. Lorsqu’on dit à un Israélien qu’on a deux mois et demi au total en Inde, il répond généralement : « Ah oui! Seulement! » avec un air étonné… Comme quoi tout est relatif!!
Et il se produit quelque chose d’assez particulier pour les Israéliens qui parcourent l’Inde. Étant en voyage dans un pays où un backpacker sur deux est Israélien, et partageant quelque chose de tellement fort avec tous leurs compatriotes qui viennent de vivre la même expérience qu’eux et qui, comme eux, profitent pleinement de la vie pour la première fois en trois ans, les Israéliens se rassemblent rapidement en immenses groupes. Et c’est là où les autres voyageurs peuvent les percevoir comme étant envahissants et intimidants. Mais, pour avoir passé un moment avec eux, je peux vous dire qu’ils font partie des gens les plus accueillants et ouverts que j’aie rencontrés en voyage. Lê-Anh et moi sommes allées au « Purim », une fête juive qui avait lieu lorsqu’on était à Pushkar, et où Daniel et Omer nous avaient suggéré d’aller. Et même si nous étions les seules non-Israéliennes de la place, pas une seconde nous sommes nous senties de trop : ils étaient tous super invitants, intéressés à nous connaître, s’assuraient toujours que nous passions un bon moment… Bref, ce sont des gens pour qui ça vaut la peine d’être de laisser tomber nos préjugés, car ils gagnent vraiment à être connus!
Omer et Daniel
Nous quatre au Purim
Le Purim
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