Traverser la frontière entre la Malaisie et l’Indonésie fut une sacrée partie de plaisir. Après 3 semaines bien confortables dans la partie malaisienne de Bornéo où on avait pratiquement tout organisé d’avance, on a quitté Mabul sans avoir la moindre idée de ce que les prochains jours de voyagement nous réservaient.
Parce qu’il faut savoir que se déplacer entre les différentes îles de l’archipel indonésien, ce n’est pas chose simple. Après Mabul, on voulait passer de la côte est de Bornéo à Sulawesi – regardez sur une mappe, c’est vraiment à côté – mais aussi proche que ces deux îles semblent, ce n’est pas nécessairement évident de se rendre de l’une à l’autre. C’est possible de prendre l’avion, le seul truc c’est que les vols sont hyper chers. L’option restante est le bateau : il y a un ferry qui fait un genre de boucle entre les villes principales de Kalimantan (partie indonésienne de Bornéo) et de Sulawesi, qui passe généralement deux fois par semaine. Mais alors là, on oublie le concept de savoir à l’avance quels jours de la semaine le ferry passera – ça change à toutes les semaines et le site internet le plus à jour qu’on a trouvé donnait l’horaire de 2007, ça vous donne une idée. C’est donc juste possible de savoir l’horaire une fois sur place, dans la ville du port – et généralement, on peut oublier l’information officielle : tout circule de bouche à oreille, il faut donc juste demander aux plus de gens possible et tirer une conclusion à partir des réponses qu’on obtient.
Bref, on traversait la frontière vers l’Indonésie dans l’espoir d’attraper un ferry vers Sulawesi, en n’ayant aucune idée quand on réussirait à sauter dans le prochain. Mais ce n’était pas juste la question du timing qui allait rendre cette aventure cocasse : dès notre premier contact avec l’Indonésie, on a compris qu’on entrait dans un monde complètement différent. C’est peut-être aussi parce que les villes frontalières de Kalimantan sont de minuscules bleds miteux pas du tout habitués de recevoir des touristes, mais c’était évident que ce nouvel environnement était en rupture avec les endroits visiblement développés pour le tourisme de Sarawak et de Sabah.
Déjà, tout le long de notre ferry de Tawau (Malaisie) à Nunukan (Indonésie) – dans lequel on était soit dit en passant les seules occidentales et on se faisait déjà fixer intensément par tous les autres passagers – le capitaine du bateau ainsi que tout le staff s’enfilaient une Guinness après l’autre devant notre face haha, tout en fumant leurs cigarettes à la chaîne malgré le gros signe « No smoking » - tout à fait normal. Ils ont aussi passé le trajet entier le nez collé dans la vitre qui nous séparait d’eux (on était assises directement à côté de la cabine du capitaine), en fixant Lê-Anh et moi de façon insistante pendant une heure et demie de temps! Presque pas intimidant!
Et notre arrivée à Nunukan fut notre première fois en sol indonésien… Nunukan est un tout petit village désaffecté où il n’y a absolument rien, et qui ne voit jamais de touristes – parce que généralement, les touristes prenant ce bateau pour traverser la frontière vont directement jusqu’à Tarakan, une plus grande ville plus loin de Tawau – mais nous, sachant que les ferrys vers Sulawesi passaient aussi par Nunukan, on a décidé de s’arrêter là. On sort du bateau, et la première chose qu’on se fait dire (par un des 45 Indonésiens qui étaient sur le quai à nous fixer l’air incrédule, alors qu’on essayait tant bien que mal de passer du bateau jusqu’au quai avec nos gros backpacks en équilibre sur la planche de bois tremblotante qui servait de passerelle) est : « What are you doing here? », qui fut suivi de plusieurs « Tarakan? » par des gens qui nous pointaient le bateau duquel on venait de sortir, pensant qu’on s’était trompées d’arrêt, haha. Peu à peu, un petit troupeau d’Indonésiens s’est mis à nous suivre pour essayer de nous aider, ils voulaient tous savoir où on allait, d’où on venait, quel bateau on voulait prendre, etc. Et on a tout de suite de vu que côté anglais, ce n’était plus la Malaisie! Même si tout le monde était super bien intentionné et voulait nous aider, l’anglais en Indonésie (et encore plus dans un petit village comme Nunukan) est ultra limité – on se faisait demander dès le premier abord si on parlait indonésien et lorsqu’on répondait que non, les gens se mettaient à rire en poussant des « Ohhh! » avec des gros yeux, l’air de dire « Eh boy, je me demande comment vous allez vous en tirer! », hahaha.
On se fait peu à peu pointer la direction vers les douanes – sûrement les plus mémorables de toute ma vie. Un petit édifice décrépit, le tapis roulant du scanneur à sac faisait juste pitcher les sacs à terre, la table pour fouiller les sacs est recouverte de papier journal sale, et les quelques officiers qui y étaient n’avaient absolument rien de sérieux. On arrive, et ils nous abordent un peu de la même façon que tous les autres Indonésiens excités de voir des étrangères (de jeunes filles en plus!) : gros sourire, nous posent toutes sortes de questions même si on ne comprend pas parce que la moitié est en Indonésien, se mettent à rire, etc. On se fait emmener dans un petit bureau fermé où on remplit la carte d’arrivée, et où un officier se donnant un air grave nous passe un interrogatoire : « Carrying any drugs? Like… NARCOTICS? » Et nous de répondre évidemment que non… En plein milieu de son interrogatoire sérieux, on entend cogner à la porte – et si ce n’est pas son compatriote douanier qui se pointe avec son gros sourire, et qui nous demande l’air tout excité : « Hello! Can I take photo with you? » en brandissant son cellulaire, ahahah! N’importe quoi!
Puis vient le moment de se faire fouiller… Ils nous demandent de sortir nos sacs à médicaments pour les vérifier. Lê-Anh savait très bien qu’elle avait des condoms dans le sien, et se disait dans sa tête : « Ouin, un peu gênant, mais au pire c’est le genre de truc avec lequel les douaniers ne pourraient jamais se permettre de faire de blagues… ». Eh bien, elle se trompait! Le douanier sortit ses condoms de son sac pour les montrer à ses collègues, en riant et en s’écriant : « Ahhh, haha! For students! », après quoi ils se mirent tous à rire et à commenter, c’était trop fort!! Quand on leur dit plus tard qu’on prendrait le ferry vers Sulawesi et que certains nous répondaient de faire attention à nous avec les Indonésiens sur le bateau, ce douanier s’écria, brandissant les condoms à nouveau : « It’s ok! They’re safe! » ahahahah, quelle crédibilité ces officiers!
On s’est donc mises à leur poser des questions sur les ferrys vers Sulawesi – parce qu’on avait encore aucune idée de quand on réussirait à partir. On finit par comprendre qu’il y en aura un qui passera aujourd’hui même, apparemment vers 3h du matin. Super, on était trop contentes qu’il y en ait un le jour même! On savait qu’il faisait plusieurs arrêts, et considérant la distance à parcourir (même si Bornéo et Sulawesi sont à côté), on avait évalué qu’il serait sûrement très long – on se croyait généreuses en l’estimant à 24h… Mais lorsqu’on demanda aux douaniers combien de temps le ferry mettait pour se rendre à Pare Pare, la ville où on voulait se rendre, et qu’ils répondirent : « About 3 days » - la face nous a carrément tombé! Trois jours sur un bateau!!! Et le truc, c’est qu’on s’imaginait un même type de bateau que celui qu’on avait pris de Tawau à Nunukan – du genre sale et pas confortable du tout, à dormir tout le monde ensemble tassés comme des sardines. Ark…
On suit le gars de qui il faut acheter notre billet de bateau (il n’y a pas de billetterie, il faut l’acheter d’un gars dans la rue), et peu à peu on comprend que le bateau part à 5h PM, et non à 3h du matin comme tout le monde nous avait dit jusqu’à maintenant – une chance qu’on n’a pas attendu pour acheter nos billets! On se presse de s’acheter une quantité industrielle de snacks, parce qu’on s’attendait à se nourrir aux craquelins pendant tout le trajet… Et finalement, on a la plus belle surprise : le bateau sur lequel on va passer 3 jours dépasse complètement nos attentes! C’était un IMMENSE bateau, qui devait avoir autour de 800 passagers, beaucoup plus classe qu’on pensait. C’est vrai aussi qu’on n’a pas opté pour la classe la moins chère, Economy, avec laquelle les gens dorment tous ensemble côte à côte dans une salle étouffante. Mais même en prenant la 3e classe, c’était super confortable : on avait une chambre fermée qu’on partageait avec 4 autres personnes, avec casiers fermés à clé, super propre, puis tous les repas étaient inclus!! Il y avait même un petit café sur le pont d’où on pouvait admirer le coucher du soleil en dégustant une crème glacée, et – attention – un live band jouait tous les soirs dans la salle à dîner!! Incroyable, haha!
Bref, nos 3 jours sur le bateau furent bien plus agréables qu’on le pensait. C’était drôle en plus, on était carrément l’attraction sur le bateau : seules occidentales les quelques centaines de passagers, on se sentait un peu comme des superstars! À chaque repas, les gens faisaient la file pour prendre des photos avec nous; dès qu’on se promenait sur la passerelle, on se faisait pointer et observer avec un air excité, et on se faisait aborder par tout le monde qui avait au moins une base d’anglais… Une dame avec qui on partageait notre chambre nous faisait la grande conversation à chaque fois qu’on la croisait, même si elle ne parlait pas du tout anglais – elle réussit au moins à comprendre notre itinéraire, passé et futur. Un jour, elle ramena toutes ses copines à notre chambre, comme un peu pour nous « montrer » à elles, et leur racontait en nous pointant avec un air fier les endroits où on était allées et où on irait – je trouvais ça tellement cute! Elle nous avait comme prises sous son aile, et était toute fière de pouvoir parler de nos aventures à ses amies… Elle me demanda mon passeport, et scruta attentivement chaque page en hochant de la tête, l’air approbateur… Adorable.
Ça nous a donc pris 3 jours pour se rendre de la frontière à Pare Pare, et ce fut définitivement une introduction mémorable à l’Indonésie!!
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